mercredi 5 novembre 2008

The radical Jack London : retranscription de la conférence de Jonah Raskin


Jonah Raskin est professeur à l'université de la Sonoma (Californie) ; il est également directeur de recherche sur Jack London à la Bibliothèque Huntington.

La vidéo de la conférence est disponible à l'article suivant. Comme je me débrouille avec mon anglais de lycée, la traduction est loin d'être parfaite ! Il s'agit d'ailleurs davantage d'une restitution que d'une traduction. J'ai résumé certains passages, j'en ai omis d'autres qui me semblaient plus anecdotiques.

Dans son introduction, J. Raskin explique comment il en est venu à s'intéresser à l'oeuvre de Jack London. Il retrace ensuite rapidement la vie de Jack London (pour plus d'information sur la vie de London, voir le site de l'Association des Amis de Jack London).

Jack London est un écrivain voyageur qui a parcouru l'Amérique, l'Europe, l'Asie, et connaissait bien ces trois continents. Il se pense comme un écrivain du monde, et on peut parler de lui comme du premier écrivain de la mondialisation. Il est le premier à parler du "village global", à montrer comment la planète est devenue un "village" du fait du développement des moyens de transport, de communication et de la technologie.

Avec The Call of the Wild (L'appel de la forêt) et The sea wolf (Le loup des mers), il fut un auteur à succès de son vivant. Son premier livre a été publié en 1900, les derniers ont été édités après sa mort. En effet, il avait écrit tant de textes à la fin de sa vie qu'il a continué à être publié après sa mort. En 17 ans, il a écrit plus de 50 livres ; il écrivait à un rythme fou. Dans une lettre à un ami, il écrit "I've been writing like a tiger" (j'écris comme un tigre) ; ce trait est significatif de son état d'esprit.
La plupart du temps, il écrit sans se corriger. La plupart de ses manuscrits (que l'on peut voir par exemple à la Bibliothèque Huntington) sont rédigés de manière fluide, avec un minimum de modifications et de corrections.

Une grande partie des ouvrages de Jack London restent aujourd'hui méconnus : ce sont ses écrits politiques. Il est surtout connu pour avoir écrit des "hitoires de chiens". Il a la réputation d'être un auteur pour la jeunesse. Certes, il a fait de la littérature de jeunesse (Patrouille de pêche, par exemple) ; il a écrit des récits mettant en scène des jeunes qui traversent des épreuves et grandissent pour devenir plus forts, plus sages. Mais son oeuvre ne s'arrête pas là.

Jonah Raskin a travaillé sur Jack London, mais également sur Allen Grinsberg (figure de la beat generation). Ces deux personnages sont pour lui très proches. Ils sont tous deux très "américains", célèbres tous les deux, effrayés par la célébrité d'une manière ou d'une autre ; chacun à leur façon ce sont des rebelles, ils ont une créativité intense, sont prolifiques, ce sont des personnages théâtraux, ils savent se mettre en scène pour se promouvoir ; ils ont tous deux une tendance à l'autodestruction. L'autodestruction est marquée chez Jack London, ce qui le conduira à mourir à l'âge de 40 ans. Une vie placée sous le signe de la modération ne l'intéresse absolument pas. Il dira "I'd rather burn than rot" (je préfère brûler que pourrir), "I want to go out in a blaze of glory" (je veux partir dans un incendie de gloire/de splendeur). Et c'est ce qu'il a fait.

Jack London apprend vite à faire sa propre publicité. Jonah Raskin raconte l'anecdote de la photo de Jack London illustrant les récits du Yukon (Alaska) publiés dans l'Overland Monthly (magazine prestigieux de San Francisco). L'Overland Monthly demande une photographie de Jack London en tenue de chercheur d'or, avec manteau et bonnet de fourrure. London s'en procure et pose dans cette tenue... à Oakland !



Il n'existe pas de biographie définitive de Jack London. En effet il y a une "mafia" autour de Jack London, qui protège son image pour en donner une vision aseptisée. C'est le grand homme, le héros d'une success-story à l'américaine ; il a écrit des histoires de chiens, aimait sa femme, et il est décédé de mort naturelle.

En réalité, Jack London fut le socialiste le plus connu de son temps aux Etats-Unis ; il a adhéré au Parti Socialiste (extrème-gauche) à 19 ans. En 1905, il parcourt les USA pour donner sa conférence intitulée "révolution" dans toutes les universités du pays. Il a évolué d'un socialisme réformiste, basé sur un militantisme électoral, vers une forme de socialisme plus radical. Cette évolution est liée, d'une part à celle du mouvement socialiste lui-même, d'autre part à l'influence d'Anna Strunsky.

Mais alors même que, lors de ses conférences, il s'insurge contre la propriété privée et la bourgeoisie, il achète des terres dans la vallée de la Sonoma, et jette son argent par les fenêtres ! Cette attitude s'explique en partie du fait qu'il a grandi dans une grande pauvreté, et n'avait rien quand il était enfant. Quand il a gagné de l'argent, il a voulu posséder ce qui lui manquait dans l'enfance. Ironisant sur ces contradictions, Mark Twain a déclaré : "Monsieur London devrait faire attention ; les gens pourraient bien venir à Glenn Ellen [ranch de London] pour s'emparer de sa propriété".

Pour évoquer la réception des oeuvres de London, on peut utiliser la parabole des aveugles et de l'éléphant. Chaque aveugle touche une partie de l'éléphant et s'en fait une image tronquée, totalement différente de ce que les autres ont imaginé. C'est ce qui se passe avec l'oeuvre de London. Chacun explore une partie de son oeuvre et définit la totalité à partir de ce fragment. Par exemple : il a écrit sur le Pacifique Sud, on en fait donc un écrivain du Pacifique Sud ; il a écrit sur le Grand nord, on en fait un écrivain du Grand Nord...Ce qui intéresse Jonah Raskin, c'est de rassembler les fragments, considérer l'oeuvre de Jack London dans sa totalité.

La dualité dans la vie et l'oeuvre de Jack London

La mort de Jack London n'était pas liée à des "causes naturelles". Il buvait et fumait beaucoup. Son médecin l'avait averti que s'il continuait à boire, il en mourrait presque à coup sûr. Il a continué à boire, et a écrit John Barleycorn, ses "mémoires d'un alcoolique", où il parle de sa propre addiction. Alors même qu'il écrit ce livre, militant pour la sobriété (son livre aura d'ailleurs une grande importance dans le mouvement qui conduira à la prohibition), il continue à boire.

A la porte d'entrée du ranch de Glenn Ellen, il y a deux pancartes : sur l'une, on peut lire "n'entrez pas sans frapper" et sur l'autre "ne frappez pas" ! Ce détail est un trait d'humour caractéristique de Jack London, mais il montre aussi la dualité présente dans presque toute sa vie et son oeuvre.

Par exemple, Buck et Croc-blanc sont le même chien ; Buck est un chien domestique qui vient de Californie ; Croc-Blanc est un chien loup sauvage qui finira sa vie en Californie et s'apprivoisera.

Dans sa nouvelle South of the Slot (Au sud de la Fente), Jack London évoque les deux quartiers de san Francisco séparés par une ligne de tramway : au nord du Slot, le quartier bourgeois, et au sud, le quartier populaire. Le personnage principal de la nouvelle a deux identités opposées. Un intellectuel puritain, discipliné, ne profitant pas de la vie, vit au nord de la Fente. Il a une autre identité et une autre nom au sud : c'est Bill Totts,
un syndicaliste qui n'hésite pas à boire un coup, et qui a une petite amie militante.
Cet ouvrage vient du plus profond de ce qu'est Jack London : quelqu'un en qui cohabitent deux points de vue opposés. C'est sans doute ce qui en fait un grand écrivain, un écrivain majeur. Comme le souligne Scott Fitzgerald, la marque d'un esprit supérieur, c'est d'avoir en tête deux idées opposées en même temps, et pourtant de continuer à vivre normalement.


Bibliographie sélective

1- The people of the Abyss (Le peuple d'en-bas)
Pour écrire ce livre, Jack London s'est déguisé en marin au chômage et a vécu dans les bas-fonds de Londres, avec les pauvres, les chômeurs, les SDF. Il inaugure avec cet ouvrage un nouveau type de journalisme au XXe siècle.




2- The road (La route)
Ce livre est basé sur l'expérience de Jack London, qui quitte Oakland à 18 ans et devient vagabond, traversant les Etats-Unis en passager clandestin dans les trains. Ce livre décrit l'Amérique du point de vue d'un exclu. Jack London écrira en substance : ma vocation d'écrivain est née au cours de cette expérience. Je n'avais pas d'argent, pas de domicile fixe. Je frappais chez les gens et je devais inventer des récits sur le moment. Cette expérience a fait de moi un écrivain, en m'obligeant à créer de façon instantanée.




3- The Valley of the Moon (La vallée de la Lune)
C'est l'histoire de deux jeunes gens qui quittent la ville pour s'établir en Californie, dans la Vallée de la Lune (= la vallée de la Sonoma). Il traverseront la Californie à pied.




4- Martin Eden.
Dans ce beau roman, Jack London met en scène un marin qui quitte la mer et devient un auteur célèbre. Tous ceux qui l'ignoraient se disputent alors son amitié et le traitent comme un dieu. Il leur dit : je suis exactement le même qu'autrefois, mais à l'époque, vous ne vouliez pas m'accorder un regard. Pourquoi voulez-vous m'inviter maintenant ?
A la fin du livre, on a une scène de suicide, l'une des plus belles de la littérature.





La mort de Jack London : un suicide ?


A la fin de sa vie, Jack London prenait de la morphine pour supporter la douleur [il était gravement malade] ; il est mort d'une overdose. Il a fait cette overdose tout en ayant dans sa chambre un document lui indiquant les doses de morphine à ne pas dépasser. Les médecins appelés à sa mort avaient des points de vue divergents ; sa femme Charmian a officialisé la version de la mort naturelle.

Jack London est devenu socialiste en partie parce qu'il voulait l'égalité économique et sociale, la justice, il voulait que les pauvres et les travailleurs aient une chance ; mais aussi parce qu'il avait une tendance suicidaire. A 16 ans, il avait tenté de se suicider. Il a écrit des lettres où il raconte combien il se sentait déprimé, pensait au suicide ; et c'est en assistant à un meeting socialiste qu'il avait retrouvé la foi en l'humanité et avait continué de vivre.

Dans les années 60, on disait "personal is political". C'est particulièrement vrai de Jack London.

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