samedi 8 novembre 2008

Mettre en scène "Ce que la vie signifie pour moi"


Ce que la vie signifie pour moi est un court texte autobiographique retraçant le parcours intellectuel de Jack London, étroitement lié à ses expériences. Comme souvent chez l'auteur, la vie et son cortège d'évènements (dans le cas de London, elle fut riche en aventures et mésaventures !) imprègne le texte. Comme le souligne Jozef Leysen, metteur en scène de la représentation (spectacle présenté à Calais en octobre 2008) , chaque passage de Ce que la vie signifie pour moi peut être "déplié", et renvoie à d'autres textes dans lesquels il se trouve déployé et explicité : Martin Eden, John Barleycorn, La Route...

Dans cette autobiographie intellectuelle écrite en 1905, Jack London évoque son enfance difficile et ses rêves d'ascension sociale, alimentés par les romans de la bibliothèque Seaside : la "vie raffinée des classes supérieures" exaltée dans ces romans, pour reprendre une expression de Tolstoï, peuple les rêves du jeune Jack - rêves de bien-être matériel, contrastant de manière criante avec sa vie de gêne et de pauvreté, mais surtout rêves d'une vie placée sous le signe de la noblesse des sentiments et de l'élévation des pensées. Après une incursion dans le monde des pirates de la baie de San Francisco, puis la dure expérience de l'exploitation et du vagabondage, il parviendra au sommet de l'échelle sociale et y perdra ses dernières illusions. Dans le monde des riches, on ne trouve, sous un vernis de culture, ni noblesse, ni élévation de l'âme. Bien au contraire, ce sont l'égoïsme, un grossier matérialisme et
une absence totale de sens moral qui y règnent en maîtres. Jack London mettra alors toute sa foi en l'humanité dans le socialisme ; il en sera d'ailleurs une figure majeure aux Etats-Unis.

Ce texte est publié aux Editions du Sonneur ; on peut également le trouver dans le recueil de textes politiques Révolution, publié chez Phébus.
On peut feuilleter quelques pages du texte sur le site des Editions du Sonneur, y lire plusieurs critiques et visionner une émission sur cette publication : cliquer ici pour afficher la page

La mise en scène de ce texte se heurte à deux écueils :

1- la lecture est un exercice difficile ; cette difficulté est redoublée par la nature du texte : en dépit de plusieurs passages narratifs (l'histoire du raid, l'usine d'électricité, la confrontation avec les femmes de la haute société...), le texte reste relativement abstrait. C'est avant tout un texte d'idées, une réflexion philosophique appuyée sur l'expérience de la vie. Les spectateurs (Nord Littoral du 31/10/2008) ont d'ailleurs souligné cet aspect, plutôt contents d'avoir l'occasion de réfléchir sur l'existence.

Sans être déterminant, un élément a permis d'éviter l'écueil d'une lecture trop monotone : plusieurs acteurs ont prêté leur voix au texte. Le contraste entre voix d'enfant, de femme et d'homme d'âges différents a rythmé la lecture.

La gestuelle, les déambulations et l'interprétation des acteurs ont aussi contribué à animer le texte. Les indications de Jozef et les trouvailles des acteurs ont permis de mettre ces éléments au point durant les répétitions. Par exemple, le spectacle commençait par un "incident", un imprévu : François arrivait de la salle une valise à la main, montait sur scène, semblant se chercher une place ; la valise s'ouvrait brusquement, et son contenu tombait en vrac sur scène ; après avoir jeté un coup d'oeil surpris au public, François rangeait ses affaires tandis que la musique démarrait. Le focus se déplaçait alors sur les musiciens, puis sur les acteurs lorsque la musique faisait place au texte. Cette petite saynète introductive accrochait l'attention du public, tout en symbolisant l'axe de lecture du texte.

La cohésion du groupe, qui s'est cimentée grâce aux exercices préparatoires, a constitué un élément important pour la synergie des voix et des postures.

Enfin, le dialogue entre la musique et le texte a joué un rôle capital. Loin d'être un simple "fond sonore", la musique jouée sur scène entrait en résonnance, en communication avec les voix.

Deux thèmes musicaux avaient été créés pour l'occasion. L'un, dans le style des "work song", était assez guilleret, et accompagnait les passages où dominaient l'aventure, la découverte ; il ouvrait et fermait également le texte. La guitare et l'accordéon dominaient sur ces passages, accompagnés d'une basse un peu "blues" (bon, je n'y connais rien en musique, mais c'était mon impression). L'autre thème était plutôt dominé par le violoncelle, et traduisait un sentiment plus mélancolique ; il accompagnait les passages imprégnés de poésie ou évoquant la tristesse, la dureté de la vie. Certains arrêts, ou départs de la musique, soulignaient des phrases, des idées.

La grande difficulté pour les musiciens a été de jouer sans jamais couvrir la voix des acteurs, tout en étant bien présents ! Ce fut d'ailleurs une vraie réussite !

2- Le second écueil était la tentation de "mimer" le personnage de Jack London ; le parti pris de Jozef a été de se centrer sur le texte-même, et non tenter de "l'illustrer" en cherchant à incarner l'auteur. Les acteurs étant d'âge différents, on aurait pu représenter Jack London aux différents âges de son existence. Mais ce choix aurait abouti à une lecture "plate", esquivant finalement le texte dans sa profondeur. Au contraire, l'interprétation centrée sur le texte-même a permis de faire émerger "l'esprit" de Jack London.

D'abord, pas de costume d'époque ! Jozef a choisi de privilégier des costumes sobres, contemporains, dans une unité de couleurs, avec une touche de rouge ici ou là.

Surtout, chaque voix portait un aspect de la personnalité et de la vie si riches de London : l'aventurier, le "pilleur d'huîtres" (Franck) ; l'homme costaud, "les muscles" (François) ; le poète (Anaïs) ; l'insurgé, le révolutionnaire (Jean-Baptiste) ; l'ambitieux et l'idéaliste, celui qui veut "monter" (Victor).

L'axe de lecture du texte

Pour ce spectacle, l'interprétation du texte peut se résumer aux termes : monter - tomber - se relever. Ce texte raconte les illusions perdues de Jack London. Il monte dans la société, tombe dans le pessimisme en perdant toutes ses illusions, et se relève grâce au socialisme.

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