dimanche 23 novembre 2008

Lecture en ligne


On peut lire en ligne Le peuple de l'abîme (
The People of the Abyss ) sur le site de Ebooks ( http://www.ebooksgratuits.com ), qui propose des traductions d'oeuvres classiques libres de droit, et des classiques de la littérature française.
The People of the Abyss est le résultat d'une enquête menée par Jack London dans les bas-fonds de Londres en 1902. Il se déguise en marin au chômage et partage la vie des clochards,
des pauvres, des ouvriers. Cet extraordinaire reportage, porté par le génie et l'écriture de Jack London, dénonce "l'envers du décor" de la société capitaliste à l'aube du XXe siècle. Il garde aujourd'hui toute sa force, si l'on songe à la situation des pays dits en voie de développement, comme aux millions de pauvres que comptent les Etats-Unis. Victime de la maladie, aujourd'hui comme hier, tel ouvrier y sera littéralement en état de faillite, et "il ne [restera] plus à ce failli du muscle qu'à descendre dans la cave de la société et à y périr misérablement".

cliquer ici pour accéder au texte : Le peuple de l'Abîme

Toujours sur Ebooks, on trouve aussi Croc-Blanc et une nouvelle d'anticipation politique : Une invasion sans précédent

Sur le site La bataille socialiste, on trouvera le texte de London (publié par ailleurs dans le recueil Révolution) : Comment je suis devenu socialiste.


dimanche 9 novembre 2008

Documentaires sur Jack London


On peut signaler l'émission "Un siècle d'écrivains" consacrée à Jack London, qui fut diffusée sur Arte en avril 2008 ... à chercher en occasion sur le net (sauf erreur de ma part).
Pour info, voir le site de Cinemotions.

Le catalogue du SCEREN-CNDP comporte également un titre (documentaire VHS) sur Jack London.

Référence :

Jack London

Auteur(s)
Bessou, Marc / Glaize, Patrick
Éditeur(s)

-
Collection

Arcanal
Résumé du film

C'est un Jack London exalté, frère des exploités, indifférent à une reconnaissance littéraire mais attaché à dépeindre d'une écriture précise ceux qui luttent pour leur survie, qu'évoquent Nicolas Vanier, aventurier et Georges Walter, journaliste et écrivain. Images d'archives de cet homme robuste dans ses immenses propriétés, qui joue comme un enfant.
Ce programme est disponible sur le(s) support(s) suivant(s) :
Vidéocassette

13 min : coul., SECAM, sonore. Cent titres pour les arts à l'école


Un film sur la vie et l'oeuvre de London est par ailleurs disponible en location auprès de l'Association des Amis de Jack London.

Interview de Christophe Chabouté (Construire un feu en BD)

samedi 8 novembre 2008

Mettre en scène "Ce que la vie signifie pour moi"


Ce que la vie signifie pour moi est un court texte autobiographique retraçant le parcours intellectuel de Jack London, étroitement lié à ses expériences. Comme souvent chez l'auteur, la vie et son cortège d'évènements (dans le cas de London, elle fut riche en aventures et mésaventures !) imprègne le texte. Comme le souligne Jozef Leysen, metteur en scène de la représentation (spectacle présenté à Calais en octobre 2008) , chaque passage de Ce que la vie signifie pour moi peut être "déplié", et renvoie à d'autres textes dans lesquels il se trouve déployé et explicité : Martin Eden, John Barleycorn, La Route...

Dans cette autobiographie intellectuelle écrite en 1905, Jack London évoque son enfance difficile et ses rêves d'ascension sociale, alimentés par les romans de la bibliothèque Seaside : la "vie raffinée des classes supérieures" exaltée dans ces romans, pour reprendre une expression de Tolstoï, peuple les rêves du jeune Jack - rêves de bien-être matériel, contrastant de manière criante avec sa vie de gêne et de pauvreté, mais surtout rêves d'une vie placée sous le signe de la noblesse des sentiments et de l'élévation des pensées. Après une incursion dans le monde des pirates de la baie de San Francisco, puis la dure expérience de l'exploitation et du vagabondage, il parviendra au sommet de l'échelle sociale et y perdra ses dernières illusions. Dans le monde des riches, on ne trouve, sous un vernis de culture, ni noblesse, ni élévation de l'âme. Bien au contraire, ce sont l'égoïsme, un grossier matérialisme et
une absence totale de sens moral qui y règnent en maîtres. Jack London mettra alors toute sa foi en l'humanité dans le socialisme ; il en sera d'ailleurs une figure majeure aux Etats-Unis.

Ce texte est publié aux Editions du Sonneur ; on peut également le trouver dans le recueil de textes politiques Révolution, publié chez Phébus.
On peut feuilleter quelques pages du texte sur le site des Editions du Sonneur, y lire plusieurs critiques et visionner une émission sur cette publication : cliquer ici pour afficher la page

La mise en scène de ce texte se heurte à deux écueils :

1- la lecture est un exercice difficile ; cette difficulté est redoublée par la nature du texte : en dépit de plusieurs passages narratifs (l'histoire du raid, l'usine d'électricité, la confrontation avec les femmes de la haute société...), le texte reste relativement abstrait. C'est avant tout un texte d'idées, une réflexion philosophique appuyée sur l'expérience de la vie. Les spectateurs (Nord Littoral du 31/10/2008) ont d'ailleurs souligné cet aspect, plutôt contents d'avoir l'occasion de réfléchir sur l'existence.

Sans être déterminant, un élément a permis d'éviter l'écueil d'une lecture trop monotone : plusieurs acteurs ont prêté leur voix au texte. Le contraste entre voix d'enfant, de femme et d'homme d'âges différents a rythmé la lecture.

La gestuelle, les déambulations et l'interprétation des acteurs ont aussi contribué à animer le texte. Les indications de Jozef et les trouvailles des acteurs ont permis de mettre ces éléments au point durant les répétitions. Par exemple, le spectacle commençait par un "incident", un imprévu : François arrivait de la salle une valise à la main, montait sur scène, semblant se chercher une place ; la valise s'ouvrait brusquement, et son contenu tombait en vrac sur scène ; après avoir jeté un coup d'oeil surpris au public, François rangeait ses affaires tandis que la musique démarrait. Le focus se déplaçait alors sur les musiciens, puis sur les acteurs lorsque la musique faisait place au texte. Cette petite saynète introductive accrochait l'attention du public, tout en symbolisant l'axe de lecture du texte.

La cohésion du groupe, qui s'est cimentée grâce aux exercices préparatoires, a constitué un élément important pour la synergie des voix et des postures.

Enfin, le dialogue entre la musique et le texte a joué un rôle capital. Loin d'être un simple "fond sonore", la musique jouée sur scène entrait en résonnance, en communication avec les voix.

Deux thèmes musicaux avaient été créés pour l'occasion. L'un, dans le style des "work song", était assez guilleret, et accompagnait les passages où dominaient l'aventure, la découverte ; il ouvrait et fermait également le texte. La guitare et l'accordéon dominaient sur ces passages, accompagnés d'une basse un peu "blues" (bon, je n'y connais rien en musique, mais c'était mon impression). L'autre thème était plutôt dominé par le violoncelle, et traduisait un sentiment plus mélancolique ; il accompagnait les passages imprégnés de poésie ou évoquant la tristesse, la dureté de la vie. Certains arrêts, ou départs de la musique, soulignaient des phrases, des idées.

La grande difficulté pour les musiciens a été de jouer sans jamais couvrir la voix des acteurs, tout en étant bien présents ! Ce fut d'ailleurs une vraie réussite !

2- Le second écueil était la tentation de "mimer" le personnage de Jack London ; le parti pris de Jozef a été de se centrer sur le texte-même, et non tenter de "l'illustrer" en cherchant à incarner l'auteur. Les acteurs étant d'âge différents, on aurait pu représenter Jack London aux différents âges de son existence. Mais ce choix aurait abouti à une lecture "plate", esquivant finalement le texte dans sa profondeur. Au contraire, l'interprétation centrée sur le texte-même a permis de faire émerger "l'esprit" de Jack London.

D'abord, pas de costume d'époque ! Jozef a choisi de privilégier des costumes sobres, contemporains, dans une unité de couleurs, avec une touche de rouge ici ou là.

Surtout, chaque voix portait un aspect de la personnalité et de la vie si riches de London : l'aventurier, le "pilleur d'huîtres" (Franck) ; l'homme costaud, "les muscles" (François) ; le poète (Anaïs) ; l'insurgé, le révolutionnaire (Jean-Baptiste) ; l'ambitieux et l'idéaliste, celui qui veut "monter" (Victor).

L'axe de lecture du texte

Pour ce spectacle, l'interprétation du texte peut se résumer aux termes : monter - tomber - se relever. Ce texte raconte les illusions perdues de Jack London. Il monte dans la société, tombe dans le pessimisme en perdant toutes ses illusions, et se relève grâce au socialisme.

mercredi 5 novembre 2008

The radical Jack London : retranscription de la conférence de Jonah Raskin


Jonah Raskin est professeur à l'université de la Sonoma (Californie) ; il est également directeur de recherche sur Jack London à la Bibliothèque Huntington.

La vidéo de la conférence est disponible à l'article suivant. Comme je me débrouille avec mon anglais de lycée, la traduction est loin d'être parfaite ! Il s'agit d'ailleurs davantage d'une restitution que d'une traduction. J'ai résumé certains passages, j'en ai omis d'autres qui me semblaient plus anecdotiques.

Dans son introduction, J. Raskin explique comment il en est venu à s'intéresser à l'oeuvre de Jack London. Il retrace ensuite rapidement la vie de Jack London (pour plus d'information sur la vie de London, voir le site de l'Association des Amis de Jack London).

Jack London est un écrivain voyageur qui a parcouru l'Amérique, l'Europe, l'Asie, et connaissait bien ces trois continents. Il se pense comme un écrivain du monde, et on peut parler de lui comme du premier écrivain de la mondialisation. Il est le premier à parler du "village global", à montrer comment la planète est devenue un "village" du fait du développement des moyens de transport, de communication et de la technologie.

Avec The Call of the Wild (L'appel de la forêt) et The sea wolf (Le loup des mers), il fut un auteur à succès de son vivant. Son premier livre a été publié en 1900, les derniers ont été édités après sa mort. En effet, il avait écrit tant de textes à la fin de sa vie qu'il a continué à être publié après sa mort. En 17 ans, il a écrit plus de 50 livres ; il écrivait à un rythme fou. Dans une lettre à un ami, il écrit "I've been writing like a tiger" (j'écris comme un tigre) ; ce trait est significatif de son état d'esprit.
La plupart du temps, il écrit sans se corriger. La plupart de ses manuscrits (que l'on peut voir par exemple à la Bibliothèque Huntington) sont rédigés de manière fluide, avec un minimum de modifications et de corrections.

Une grande partie des ouvrages de Jack London restent aujourd'hui méconnus : ce sont ses écrits politiques. Il est surtout connu pour avoir écrit des "hitoires de chiens". Il a la réputation d'être un auteur pour la jeunesse. Certes, il a fait de la littérature de jeunesse (Patrouille de pêche, par exemple) ; il a écrit des récits mettant en scène des jeunes qui traversent des épreuves et grandissent pour devenir plus forts, plus sages. Mais son oeuvre ne s'arrête pas là.

Jonah Raskin a travaillé sur Jack London, mais également sur Allen Grinsberg (figure de la beat generation). Ces deux personnages sont pour lui très proches. Ils sont tous deux très "américains", célèbres tous les deux, effrayés par la célébrité d'une manière ou d'une autre ; chacun à leur façon ce sont des rebelles, ils ont une créativité intense, sont prolifiques, ce sont des personnages théâtraux, ils savent se mettre en scène pour se promouvoir ; ils ont tous deux une tendance à l'autodestruction. L'autodestruction est marquée chez Jack London, ce qui le conduira à mourir à l'âge de 40 ans. Une vie placée sous le signe de la modération ne l'intéresse absolument pas. Il dira "I'd rather burn than rot" (je préfère brûler que pourrir), "I want to go out in a blaze of glory" (je veux partir dans un incendie de gloire/de splendeur). Et c'est ce qu'il a fait.

Jack London apprend vite à faire sa propre publicité. Jonah Raskin raconte l'anecdote de la photo de Jack London illustrant les récits du Yukon (Alaska) publiés dans l'Overland Monthly (magazine prestigieux de San Francisco). L'Overland Monthly demande une photographie de Jack London en tenue de chercheur d'or, avec manteau et bonnet de fourrure. London s'en procure et pose dans cette tenue... à Oakland !



Il n'existe pas de biographie définitive de Jack London. En effet il y a une "mafia" autour de Jack London, qui protège son image pour en donner une vision aseptisée. C'est le grand homme, le héros d'une success-story à l'américaine ; il a écrit des histoires de chiens, aimait sa femme, et il est décédé de mort naturelle.

En réalité, Jack London fut le socialiste le plus connu de son temps aux Etats-Unis ; il a adhéré au Parti Socialiste (extrème-gauche) à 19 ans. En 1905, il parcourt les USA pour donner sa conférence intitulée "révolution" dans toutes les universités du pays. Il a évolué d'un socialisme réformiste, basé sur un militantisme électoral, vers une forme de socialisme plus radical. Cette évolution est liée, d'une part à celle du mouvement socialiste lui-même, d'autre part à l'influence d'Anna Strunsky.

Mais alors même que, lors de ses conférences, il s'insurge contre la propriété privée et la bourgeoisie, il achète des terres dans la vallée de la Sonoma, et jette son argent par les fenêtres ! Cette attitude s'explique en partie du fait qu'il a grandi dans une grande pauvreté, et n'avait rien quand il était enfant. Quand il a gagné de l'argent, il a voulu posséder ce qui lui manquait dans l'enfance. Ironisant sur ces contradictions, Mark Twain a déclaré : "Monsieur London devrait faire attention ; les gens pourraient bien venir à Glenn Ellen [ranch de London] pour s'emparer de sa propriété".

Pour évoquer la réception des oeuvres de London, on peut utiliser la parabole des aveugles et de l'éléphant. Chaque aveugle touche une partie de l'éléphant et s'en fait une image tronquée, totalement différente de ce que les autres ont imaginé. C'est ce qui se passe avec l'oeuvre de London. Chacun explore une partie de son oeuvre et définit la totalité à partir de ce fragment. Par exemple : il a écrit sur le Pacifique Sud, on en fait donc un écrivain du Pacifique Sud ; il a écrit sur le Grand nord, on en fait un écrivain du Grand Nord...Ce qui intéresse Jonah Raskin, c'est de rassembler les fragments, considérer l'oeuvre de Jack London dans sa totalité.

La dualité dans la vie et l'oeuvre de Jack London

La mort de Jack London n'était pas liée à des "causes naturelles". Il buvait et fumait beaucoup. Son médecin l'avait averti que s'il continuait à boire, il en mourrait presque à coup sûr. Il a continué à boire, et a écrit John Barleycorn, ses "mémoires d'un alcoolique", où il parle de sa propre addiction. Alors même qu'il écrit ce livre, militant pour la sobriété (son livre aura d'ailleurs une grande importance dans le mouvement qui conduira à la prohibition), il continue à boire.

A la porte d'entrée du ranch de Glenn Ellen, il y a deux pancartes : sur l'une, on peut lire "n'entrez pas sans frapper" et sur l'autre "ne frappez pas" ! Ce détail est un trait d'humour caractéristique de Jack London, mais il montre aussi la dualité présente dans presque toute sa vie et son oeuvre.

Par exemple, Buck et Croc-blanc sont le même chien ; Buck est un chien domestique qui vient de Californie ; Croc-Blanc est un chien loup sauvage qui finira sa vie en Californie et s'apprivoisera.

Dans sa nouvelle South of the Slot (Au sud de la Fente), Jack London évoque les deux quartiers de san Francisco séparés par une ligne de tramway : au nord du Slot, le quartier bourgeois, et au sud, le quartier populaire. Le personnage principal de la nouvelle a deux identités opposées. Un intellectuel puritain, discipliné, ne profitant pas de la vie, vit au nord de la Fente. Il a une autre identité et une autre nom au sud : c'est Bill Totts,
un syndicaliste qui n'hésite pas à boire un coup, et qui a une petite amie militante.
Cet ouvrage vient du plus profond de ce qu'est Jack London : quelqu'un en qui cohabitent deux points de vue opposés. C'est sans doute ce qui en fait un grand écrivain, un écrivain majeur. Comme le souligne Scott Fitzgerald, la marque d'un esprit supérieur, c'est d'avoir en tête deux idées opposées en même temps, et pourtant de continuer à vivre normalement.


Bibliographie sélective

1- The people of the Abyss (Le peuple d'en-bas)
Pour écrire ce livre, Jack London s'est déguisé en marin au chômage et a vécu dans les bas-fonds de Londres, avec les pauvres, les chômeurs, les SDF. Il inaugure avec cet ouvrage un nouveau type de journalisme au XXe siècle.




2- The road (La route)
Ce livre est basé sur l'expérience de Jack London, qui quitte Oakland à 18 ans et devient vagabond, traversant les Etats-Unis en passager clandestin dans les trains. Ce livre décrit l'Amérique du point de vue d'un exclu. Jack London écrira en substance : ma vocation d'écrivain est née au cours de cette expérience. Je n'avais pas d'argent, pas de domicile fixe. Je frappais chez les gens et je devais inventer des récits sur le moment. Cette expérience a fait de moi un écrivain, en m'obligeant à créer de façon instantanée.




3- The Valley of the Moon (La vallée de la Lune)
C'est l'histoire de deux jeunes gens qui quittent la ville pour s'établir en Californie, dans la Vallée de la Lune (= la vallée de la Sonoma). Il traverseront la Californie à pied.




4- Martin Eden.
Dans ce beau roman, Jack London met en scène un marin qui quitte la mer et devient un auteur célèbre. Tous ceux qui l'ignoraient se disputent alors son amitié et le traitent comme un dieu. Il leur dit : je suis exactement le même qu'autrefois, mais à l'époque, vous ne vouliez pas m'accorder un regard. Pourquoi voulez-vous m'inviter maintenant ?
A la fin du livre, on a une scène de suicide, l'une des plus belles de la littérature.





La mort de Jack London : un suicide ?


A la fin de sa vie, Jack London prenait de la morphine pour supporter la douleur [il était gravement malade] ; il est mort d'une overdose. Il a fait cette overdose tout en ayant dans sa chambre un document lui indiquant les doses de morphine à ne pas dépasser. Les médecins appelés à sa mort avaient des points de vue divergents ; sa femme Charmian a officialisé la version de la mort naturelle.

Jack London est devenu socialiste en partie parce qu'il voulait l'égalité économique et sociale, la justice, il voulait que les pauvres et les travailleurs aient une chance ; mais aussi parce qu'il avait une tendance suicidaire. A 16 ans, il avait tenté de se suicider. Il a écrit des lettres où il raconte combien il se sentait déprimé, pensait au suicide ; et c'est en assistant à un meeting socialiste qu'il avait retrouvé la foi en l'humanité et avait continué de vivre.

Dans les années 60, on disait "personal is political". C'est particulièrement vrai de Jack London.

dimanche 2 novembre 2008

The Radical Jack London

Communication de Jonah Raskin (mai 2008) à propos de son livre The Radical Jack London (en américain). Pas de souci de compréhension, l'auteur parle assez lentement et sans trop-trop mâcher ses mots (à tous les sens du terme !). Jonah Raskin fait le point sur le contexte social, économique et politique de l'oeuvre de London ; il montre comment Jack London, loin de l'image d'Epinal que certains s'efforcent de maintenir (un "inoffensif" aventurier aimant les chiens et la nature, etc...), fut avant tout un leader socialiste révolutionnaire dans l'Amérique de son temps.
Plan de la conférence :
1- introduction
2- la vie de Jack London
3- un auteur prolifique
4- la célébrité de Jack London
5- l'adhésion au parti socialiste
6- tournée de conférences pour la révolution
7- dualité
8- oeuvres préférées
9- une mort controversée
10- questions : les différents aspects de Jack London / la question de la race / idées communes avec d'autres écrivains / le genre de prédilection de London / l'influence de Jack London sur Kerouac / un mode de vie auto-destructeur / réaction au livre de Raskin / l'écriture non-fictionnelle

adresse internet de la communication sur fora.tv : http://fora.tv/2008/05/29/Jonah_Raskin_The_Radical_Jack_London




"Into the wild" et Jack London

« Into the wild » est un film de Sean Penn sorti en janvier 2008. En voici la trame : tout juste diplômé de l'université, Christopher McCandless, 22 ans, est promis à un brillant avenir. Pourtant, tournant le dos à l'existence confortable et sans surprise qui l'attend, le jeune homme décide de prendre la route en laissant tout derrière lui. Des champs de blé du Dakota aux flots tumultueux du Colorado, en passant par les communautés hippies de Californie, Christopher va rencontrer des personnages hauts en couleur. Chacun, à sa manière, va façonner sa vision de la vie et des autres. Au bout de son voyage, Christopher atteindra son but ultime en s'aventurant seul dans les étendues sauvages de l'Alaska pour vivre en totale communion avec la nature.



Le voyage initiatique

Platon compare l'âme à une statue tombée au fond des mers. Coquillages, algues, etc... se sont incrustés sur la statue, et au bout de quelques années, on n'en reconnaît plus la forme ; elle apparaît comme quelque chose de monstrueux.


Le héros du film tourne le dos à son mileu social et part à l'aventure pour faire « le nettoyage » : se débarrasser des « coquillages » pour revenir à l'essentiel et se trouver lui-même.

De quoi se débarrasse-t-il ? Des modes de vie imposés par la société, dans lesquels il ne se retrouve pas ; et surtout dans lesquels il n'y a aucune vie ni aucun « vivant vraiment vivant » (Prévert). Au cours de ses rencontres, il croise des êtres humains « vraiment vivants », dont la rencontre constitue autant d'enseignements – jusqu'à la confrontation avec la Nature, qui le mettra « à nu ». Une nature non pas rêvée mais, comme le dit London, à la fois éblouissante et hostile, inhospitalière pour l'homme qui s'y trouve en situation de survie.

Pour le héros du film, se débarrasser des « coquillages », c'est sortir le nez de ses livres, abandonner son existence « formatée » pour oser affronter la vie.

Jack London a suivi le parcours inverse : issu du monde ouvrier, il a d'abord vécu puis pensé. Dans Martin Eden (p. 40, édition 10/18) le personnage se compare aux étudiants : « Ils avaient appris la vie dans les livres, et lui l'avait vécue ».

Mais d'une certaine manière, Jack London doit lui aussi se débarrasser de sa gangue de « coquillages », c'est-à-dire des habitudes et des illusions de son milieu ouvrier. Ce qu'il raconte dans Martin Eden ou dans Ce que la vie signifie pour moi.


Que sont ces « coquillages » ? On peut l'interpréter comme l'imprégnation du milieu social qui détermine l'individu, alors même que reste « l'humain » enfoui en chaque individu ; ou, comme le dit Sartre (L'existentialisme est un humanisme), une forme de liberté inconditionnelle, irréductible au déterminisme.



Une philosophie à coups de marteau

Le nettoyage des "coquillages de l'âme", c'est, d'une certaine manière, la pratique de la "philosophie à coups de marteau" entreprise par Nietzsche dans Le crépuscule des idoles. Il s'agit d'une entreprise de démolition des pseudos-valeurs : dans Ainsi parlait Zarathoustra, l'esprit se fait chameau, puis lion, et pour finir enfant : il porte le fardeau des valeurs, les détruit puis en crée de nouvelles. Cette philosophie consiste aussi en une mise à l'épreuve des valeurs, des "idoles" : on les fait résonner à coups de marteau pour savoir si elles sonnent creux ou non.

Reniant les valeurs de son milieu, le héros du film incarne le "lion" nietzchéen. Le point de départ de ses pérégrinations, c'est le secret de famille, dont la découverte fait voler en éclat la confiance dans la famille, et révèle que toutes les valeurs qu'elle porte ne sont qu'hypocrisie. Il met alors radicalement en question les valeurs précedemment admises (l'idée de carrière par exemple) et part en quête d'expériences, de rencontres, qui lui permettraient d'en créer de nouvelles. Notons cependant que Christopher ne part pas de rien : il s'appuie sur ses lectures (Jack London, Tolstoï, Thoreau).

Pour Jack London, c'est l'expérience du monde ouvrier, de l'exploitation, du vagabondage, de la prison... et les désillusions qui l'attendent au sommet de l'échelle sociale, qui en font un critique véritablement nietzschéen des valeurs, aussi bien morales que sociales. Avec un humour jamais démenti ! Dans Le rêve de Debs, l'un des personnages s'amuse cyniquement de l'affolement des grands patrons face à la grève générale ; il leur jette avec insolence : "Inutile de jouer les hypocrites dans cette caverne de voleurs. Le ton noble et hautain est bon pour les journaux, les clubs de jeunes garçons et les écoles du dimanche, cela fait partie du jeu. Mais pour l'amour du ciel, pas de ça entre nous. Vous savez que je connais aussi bien que vous les trafics qui ont eu lieu lors de la grève du bâtiment, à l'automne dernier. Je sais qui a fourni l'argent, qui a accompli les basses oeuvres, qui en a profité. Dans cette histoire, nous sommes tous dans le même sac, et ce que nous avons de mieux à faire, c'est de laisser de côté la moralité. Je le répète, jouez votre jeu, jouez-le jusqu'au bout, et pour l'amour de Dieu, ne glapissez plus."

Cette remise en question n'est pas seulement celle des valeurs "de façade" hypocritement professées par la bourgeoisie ; Jack London interroge - et désavoue - l'échelle des valeurs qui fait mouvoir les hommes dans notre société : la glorification du travail, de l'enrichissement, de l'égoïsme, du pouvoir.

Par son regard critique et lucide, sans concessions, Jack London, dans ses oeuvres et dans sa vie, a réellement pratiqué la « philosophie à coups de marteau » – tout en s'éloignant de l'individualisme nietzschéen, qu'il critique dans Martin Eden. C'est un homme d'action, un tempérament généreux, un coeur vibrant d'émotions ; il choisit la voie de la solidarité (terme aujourd'hui si galvaudé) et de la foi en l'humanité de l'homme, enfouie sous les préjugés et les déterminismes sociaux.


« J'aspire à un temps où l'homme aura une perspective plus haute et plus vaste que son ventre. Un temps où l'homme sera poussé par un stimulant plus intéressant que le stimulant d'aujourd'hui, qui est le ventre. Je conserve ma foi en la noblesse et l'excellence de l'être humain. » (Ce que la vie signifie pour moi, Editions du Sonneur p. 37).


samedi 1 novembre 2008

L'effroi du Beau


L'effroi du Beau est un livre du philosophe Jean-Louis Chrétien, brillante méditation sur Le Phèdre de Platon, en même temps qu'un remarquable essai de phénoménologie.
"Platon fait de l'effroi le premier présent de la beauté, et pour Dostoïevski et Rilke elle n'est que le commencement du terrible. Cette joie douloureuse, démesurée comme tout amour, est la dimension oubliée par l'esthétique, qui la relègue dans le sublime, distingué du beau. Il faut surmonter l'esthétique pour penser la beauté, si elle est le visage même de l'Être. Les questions qu'elle fait surgir ne sont pas régionales, elles mettent en cause l'être entier de l'homme et les voies selon lesquelles il peut se perdre ou se trouver. La beauté nous éprouve, et cette épreuve décide de tout. Tel est le sens du mythe du Phèdre de Platon, dont Heidegger médita ce qu'il nous donne toujours à penser. La beauté qui se suffit pourtant nous appelle, et nous impose, sans esquive possible, la charge de lui répondre et de lui correspondre."

Déjà, les liens avec l'oeuvre de Jack London se dessinent... même si les thématiques et la forme adoptées par ces deux auteurs semblent bien éloignées. Arrêtons-nous un instant sur la notion de sublime, traitée par Kant dans la Critique de la faculté de juger : le sublime, émerveillement mêlé de terreur, s'éprouve dans la contemplation de la nature. Pour Jean-Louis Chrétien, c'est toute approche de la Beauté, dans l'oeuvre ou dans la rencontre d'autrui, qui nous saisit d'effroi - saisissement où la beauté nous précède, se donne toujours en premier ; elle se révèle à nous comme un appel impérieux, car c'est notre être-même qui s'y trouve mis radicalement en jeu. Appel énigmatique auquel toute réponse fait nécessairement défaut : la réponse finie que nous adressons à l'infini s'abîme dans l'insuffisance, car toujours la démesure de l'appel nous excède.

Cette épreuve en forme d'énigme se donne à voir doublement dans l'oeuvre de Jack London : la relation à la nature, splendide et inhospitalière ; la perception immédiate et intense de la vie dans la sensibilité extrème à la présence d'autrui - on pourrait dire dans la sensibilité extrème tout court de Jack London. En témoigne l'âme vibrante et exaltée de Martin Eden, ainsi que "l'autobiographie d'alcoolique" qu'est John Barleycorn, où Jack London analyse finement le phénomène de l'addiction. Il souligne que les alcooliques sont d'abord des hommes qui ont besoin de se sentir pleinement vivants - ce qui rejoint la thèse, bien postérieure, de William Lowenstein (Ces dépendances qui nous gouvernent), qui fait de l'addiction une maladie de la sensibilité.

"Etre vivant" : c'est le leitmotiv de Ce que la vie signifie pour moi, celui qui dicte l'ascension sociale - et ses désillusions : sur les plus hautes marches de la société, "j'ai rencontré beaucoup d'hommes qui étaient propres et nobles, mais à de rares exceptions près, ils n'étaient pas VIVANTS.[...] Ceux qui ne tiraient pas leur vivacité d'une vie malpropre ressemblaient à des morts non enterrés"
Etre "propre", "noble" et "vivant" : en se battant pour la cause socialiste, Jack London fait l'épreuve de la vie comme d'une "merveille sauvage et douce". Cette épreuve à la fois violente et merveilleuse, c'est aussi celle de la douceur inexorable de la beauté - beauté dans la rencontre mystérieuse de l'autre, qui nous révèle pleinement à nous-mêmes le sentiment intense de la vie. Beauté et noblesse de la cause qui ramène l'homme à son humanité, qui oeuvre à relever l'être humain embourbé dans "le monstrueux égoïsme et le matérialisme abruti" d'un monde défiguré par la barbarie
. Beauté manifestée dans l'art, la littérature, la philosophie. Beauté qui nous saisit en pleine nature, là où la trace de l'homme se fait imperceptible, où notre vulnérabilité se découvre. Là, c'est tout autant le saisissement de la rencontre avec la vie brute que notre fragilité qui nous atteint.

Dans tous ces moments où la vie se manifeste, c'est là que nous sommes des "vivants vraiment vivants" (Prévert) ; et c'est ce lieu que Jack London cherchait sans relâche.

« Il y a une extase qui marque le sommet de la vie, et au-delà de laquelle la vie ne peut pas s'élever. Et le paradoxe de la vie est tel que cette extase vient lorsque l'on est le plus vivant, et elle consiste à oublier totalement que l'on est vivant. » (Jack London)


A écouter sur le site de Canalacadémie : Jean-Louis Chrétien, grandeur de la parole

Soirée Jack London à Calais

Le jeudi 23 octobre a eu lieu au cinéma Alhambra une soirée consacrée à Jack London, avec la librairie La Mouette liseuse.
Une soirée mariant cinéma et littérature : une première à Calais ! Ca a été un succès, tant du point de vue du nombre de spectateurs que de la qualité de la soirée.
Nous avons commencé par une entrée en matière assez sympathique, avec un pot dans le hall du cinéma, la table du libraire présentant l'ensemble des publications de London en français, une exposition de photos d'archive avec l'autorisation de l'Association des Amis de Jack London et une discussion à bâtons rompus autour de l'écrivain.
A 19h30, nous avons pu assister à un spectacle mis en scène par Jozef Leysen, une lecture mise en scène de "Ce que la vie signifie pour moi", l'autobiographie intellectuelle de Jack London. C'était vraiment bien ! Victor, François, Franck, Jean-Baptiste et Anaïs ont vraiment assuré dans l'interprétation du texte ! En plus il y avait de la musique, des airs composés pour l'occasion par Jozef et Camille, interprétés en live ! par Jozef (guitare), Camille (accordéon) et Victor (violoncelle). Les musiques me trottent encore dans la tête ! La représentation a été filmée par des élèves en section cinéma au lycée Léonard de Vinci - la vidéo sera peut-être en ligne prochainement ? Un mini-débat a eu lieu ensuite sur ce texte très actuel - une critique virulente de la société capitaliste !
La soirée s'est terminée par la projection du film de Sean Penn "Into the wild". Ce film, qui fait explicitement référence à Jack London, en est très proche dans l'esprit. L'appel du "wild" s'y conjugue à une critique sociale qui rappelle (entre autres) "Martin Eden" et certains textes de "Révolution" (bien entendu, "ce que la vie signifie pour moi" y figure en bonne place !).
En résumé, nous avons vécus de bons moments, riches et intenses.

On peut lire l'article du Nord Littoral (édition du 31 octobre), consacré à cette soirée : http://www.nordlittoral.fr/actualite/calais/Vie_locale/article_833312.shtml